Charlie PER

Je n’aurais jamais dû lui proposer de me rencontrer. A quoi bon ? Lui, le teint mâte, descendant des Quileutes et moi, le teint pâle, l’ennemi juré des loups. Le dialogue est rompu d’avance. Mais le simple fait de l’avoir vu discuter avec Bella m’a mis hors de moi. J’ai ressentis comme un déchirement, une brûlure dans ma gorge presqu’insupportable accompagnée d’une envie outrageuse de le réduire en miettes en l’espace de quelques secondes. Néanmoins, je refuse d’être un prédateur dépourvu de conscience, un monstre destiné à tuer sans aucun remords. Et je refuse de le faire, même si l’envie me ronge jusque dans mes cellules les plus infimes. Juste pour elle. Car il est son ami, depuis l’enfance à ce que j’ai pu déchiffrer. Ah ! Qu’est-ce que c’est que cette odeur ? Oui, bien sûr, ça ne peut être que lui.
– A l’heure, j’apprécie, lançai-je dès que je vis sa chevelure plutôt imposante se présentée face à moi.
– Je veux en finir au plus vite, rétorqua-t-il l’air un peu anxieux.
– Moi de même, on n’est pas si différent que ça en fin de compte, dis-je d’un ton sarcastique afin de lui montrer que je ne suis en aucun cas intimidé par un loup pré pubère.
– Pourquoi voulais-tu me voir ici ? Tu sais très bien que je ne peux pas faire un pas de plus ; nous nous trouvons de part et d’autre de la limite que mon arrière-grand-père a établit avec les tiens.
– En effet, je n’ai pas choisi cet endroit par hasard. Nous pourrons débattre à propos du « sort », si je peux dire, de Bella sans prendre le risque de nous entretuer même si je sais qu’un geste suffirait pour te fracasser le crâne. J’ai donc pensé qu’il serait plus juste d’utiliser un autre instrument que la force…
– Comme l’intelligence ou le cœur, m’interrompit-il. Oh ! Mais le tien ne fonctionne plus je crois.
– Je crois que tu as compris le but de cette rencontre. Le premier qui craque et dépasse la ligne aura perdu ; le gagnant choisit sa récompense. Cependant, notre petit entretien restera secret, ça va de soit ; nous n’allons pas déclencher une guerre à cause d’un jeu aussi futile.
– Evidemment, acquiesça-t-il, la mâchoire serrée. Mais cela ne m’empêchera pas de voir Bella.
– On verra les conditions à l’issue de cet entretien si tu le permets, le taquinai-je.
– Au fait, est-ce que Bella sait qui tu es vraiment ? me demanda-t-il fièrement.
– Non, j’hésite toujours à lui confier, nous venons juste de nous parler pour la première fois hier en biologie, pas vraiment le bon endroit pour ce genre de confidences.
– Dis plutôt que tu n’oses pas lui en parler, que tu as peur de sa réaction, franchement y a de quoi ! Je dois avouer que je ne croyais pas totalement à toutes ces légendes mais plus je t’observe et plus mon opinion se confirme sur ce que tu es vraiment. Mais ne t’inquiètes pas, je n’en parlerai pas à Bella, je te laisse le soin de lui faire découvrir.
Il se sentait de plus en plus à l’aise. Mauvais calcul de ma part. Je pensais que cet endroit le déstabiliserait. Il joue sur l’attaque. Jouons sur le même terrain alors.
– Ne t’en fais pas. Je ne la forcerai pas à m’accepter tel que je suis. Je laisserai cours à son libre-arbitre si ça t’effraie tant que ça.
– C’est ça, lança-t-il d’un ton désinvolte. Plusieurs questions me taraudent, je crois que c’est le moment de te les poser.
– Je t’en prie, l’encourageai-je poliment. J’essaierai d’être le plus franc possible.
– Eh bien, pourquoi Elle ? C’est vrai quoi ! Je sais bien que Forks n’est pas une grande ville mais il y a quand même du choix. Ne me dis pas que tu fais ça dans l’unique but de m’atteindre et de montrer que nous, descendants des Quileutes, ne sommes pas des adversaires à votre taille.
– Désolé de te décevoir mais le but n’est pas d’alimenter mon égo pour quelques années ou bien d’utiliser Bella comme prétexte pour déclencher un conflit.
– Oh, je suis déçu, déclara-t-il avec un sourire en coin qui n’est pas signe de complicité ou de compassion. C’est donc plus subtil que ça, humm…Bref, tu n’as pas répondu à ma question, j’attends.
Je lui avais dit que j’allais être franc, ce qui sous-entendait aucun mensonge. Mais ne pas révéler toute la vérité ne signifie pas mentir, cela renvoie à de la protection. La protection de mon secret, de ma famille à qui je dois tout, et surtout la protection de Bella qui ne doit pas découvrir quelle existence je mène par le biais du louveteau.
– Comment te dire ça sans te choquer et t’effrayer… répondis-je tout en mettant en avant ma rangée de dents blanches acérées afin de le déstabiliser. Elle s’est révélée spéciale. Fascinante plutôt.
– Bah, ce n’est pas vraiment un scoop je te signale, rétorqua-t-il. Pour moi aussi elle est spéciale : ce regard mystérieux, ce sourire timide qui t’invite à ne pas la brusquer, cette façon qu’elle a d’enrouler une mèche de cheveux autour d’un doigt, et cette maladresse qui te pousse à la protéger coûte que coûte…
Soudain, je ne l’écoutais plus et me perdais moi aussi d’une certaine façon dans l’énumération des qualités de Bella. Cependant, je pouvais assurer que j’en savais tellement plus que lui à son sujet : sa générosité indénombrable envers son entourage, son intelligence débordante, sa maturité surprenante qui dépasse celle de sa mère…et tant d’autres. Il vient juste de terminer son discours élogieux, je dois revenir à la réalité sinon il risque d’aboyer.
– Tu ne m’apprends rien tu sais, lui dis-je. Tu oublies tellement de détails. Spéciale pour moi signifie davantage unique. Elle ravive en moi des instincts contre lesquels je m’étais tant battu ces dernières décennies, ce qui n’est pas avantageux pour elle. Tu sais que nous pouvons nous passer de sang humain mais le sien est si attirant, il provoque chez moi un désir tellement fort, que je serais capable de la tuer pour satisfaire mes besoins primaires.
Son regard était de marbre, il allait craquer d’un instant à l’autre.
– Tu crois que je vais te sauter dessus et mettre fin à cet entretien, eh bien tu te trompes buveur de sang, lâcha-t-il d’une voix pleine d’assurance. J’en déduis donc que Bella est en danger permanent avec toi. Elle ne mérite pas ça, tu es d’accord ? Tu ne veux pas qu’elle risque sa vie chaque seconde passée près de toi ? Tu me répugnes, et tu la répugneras elle aussi dès qu’elle saura.
Il commence légèrement à me taper sur les nerfs. Je lançai un grognement en signe d’avertissement.
– Oh, oh ! Approche, je n’ai pas bien entendu…murmura-t-il.
Je devais trouver un moyen de ne pas céder à la tentation. Tout le monde a des points faibles. Je devrais fouiller dans ses pensées, pourquoi n’y ai-je pas pensé plus tôt ? Quel idiot je suis !
Je le croyais plus robuste que ça, je suis tombé sur le petit sensible de la famille on dirait, pensait-il. Il croyait que j’allais craquer au bout d’une minute mais je sais contenir mes émotions et surtout ma rage. Il ne sait même pas s’y prendre, il me déçoit. Les vampires ne sont donc pas intouchables, au contraire, un rien les contrarie…Il fait honte à son espèce.
Ah ! En parlant d’espèce…il ne me semble pas très au courant de la sienne, trop jeune évidemment. Là est mon avantage. Les années depuis ma transformation m’ont permis d’acquérir assez d’expérience et de connaissances pour le toucher là où ça fait mal.
– Et tu crois qu’elle sera plus en sécurité avec toi, répliquai-je. Je ne savais pas que le loup était le meilleur ami de l’homme. Oups, je crois que j’en ai trop dit ou peut-être pas. Que t’a dit ton père à propos de ses légendes à l’exception que ma race représente ton pire ennemi ? Le nom d’Éphraïm t’évoque-t-il quelque chose ?
– Je t’interdis de parler de lui et de mes descendants de cette manière, gronda-t-il. Tu ne sais pas de quoi tu parles.
– Sûrement plus que toi en tout cas ! ripostai-je, confiant. Je vais te le prouver. Tu sais certainement que tu descends des loups mais ce que tu ignores c’est que tu es sur le point d’en devenir un comme tes autres copains que tu trouves si étranges, ce n’est qu’une question de temps. Ta puberté va te métamorphoser de manière assez significative, autant te prévenir. Je suis quand même surpris de constater que ton père ou même tes amis ne te préparent pas à cette étape importante de ta vie qui te différenciera à jamais des humains.
– Tu es bien placé pour savoir ce qu’est la différence, finit-il par prononcer.
– Exact, acquiesçai-je. Toutefois, j’ai réussi à surpasser ce handicap mais ça m’a prit quelques décennies quand même. Quand ton jour viendra, tu deviendras un prédateur, un monstre. Bella ne s’approchera plus jamais de toi, tu la dégoûteras, car qui peut apprécier la compagnie d’un…loup garou ?
Ce mot sembla faire écho dans la forêt. Soudain, alors que nous avion été immobiles jusque là, Jacob bondit sur moi, me plaquant ainsi contre un arbre. Mais sa force est tellement minime par rapport à la mienne que je ne ressentis qu’un léger picotement dans le bas du dos. Il me suffit alors de saisir sa gorge par la main et de le propulser à une cinquantaine de mètres de moi tout en calculant minutieusement le risque qu’il ne percute pas un arbre. Mon but n’était pas de le blesser, juste de le repousser de manière à lui montrer qu’il était passé en territoire ennemi. Par chance, ou je dirais plutôt par précaution, il atterrit sur un nid de fougères. Les dégâts corporels seront donc presqu’inexistants. Nous ne voulons pas laisser de traces de notre passage.
– Je crois que l’on a fini, criai-je pour qu’il m’entende. Ce fut un plaisir de traiter avec toi. Je te demanderais donc, à partir de maintenant, de ne plus t’imposer entre Bella et moi, sauf si telle est sa volonté. Je passerai le temps que je veux avec elle, et si un jour j’apprends que d’une manière ou d’une autre tu as essayé de l’écarter de moi contre son gré, en la manipulant de quelques façons que ce soit, nos chemins se recroiseront mais cette fois-là je ne serais pas aussi indulgent.
A cette annonce, il se releva en titubant, l’air abattu. Nos regards se croisèrent. Le sien, rempli de colère et le mien rempli de honte. Je n’étais pas fière de moi. J’avais agi en monstre, ce que je suis avant tout, et tout cela par pur égoïsme et jalousie. En effet, j’avais peur qu’il se rapproche encore plus de Bella ; trop de choses les unissent depuis bien longtemps. Il aura toujours cet avantage sur moi, je dois vivre avec. J’avais peut-être gagné la partie mais j’avais perdu une part de dignité.