Camille DOR

Jacob reprend du poil de la bête

L'éclat du soleil était tel que quelques uns de ses rayons parvenaient à traverser le feuillage dense des arbres, frappant doucement mon visage. Celui-ci devait scintiller d'une façon extraordinaire comme à chaque fois que je m'exposais au soleil, phénomène qui aurait sûrement effaré n'importe qui me contemplant. Heureusement rares étaient les humain à s'aventurer aussi loin dans la forêt. Il faisait chaud au soleil, au moins vingt-cinq degrés, une température quasi-inatteignable à Forks que la fraîcheur des arbres rendait largement supportable. En fait cet endroit aurait été idéal s'il n'y avait pas eu cette puanteur, songeai-je en revenant à la réalité. Mon regard se concentra alors sur l'individu en face de moi et je fus une fois de plus choqué par sa carrure.

-Ce type est vraiment immense, c'est un monstre, pensai-je avant de me rappeler que j'avais moi-même coutume de m'associer à ladite catégorie « monstres ». Cependant cette possible similitude entre nous n'atténuait en rien mon agacement envers le géant et je dus faire un effort extrême pour me contenir, recourant à mes cent ans d'exercice de maîtrise de soi.
-Pense à Bella, pense à Bella, me répétais-je continuellement pour garder mon sang-froid tandis que l'autre continuait de déblatérer sur l'humanité, la liberté et les enfers tout en ponctuant ces phrases de « stupides sangsues ». Évidemment le fait d'entendre ses pensées n'arrangeait en rien mon affaire. Je devais d'ailleurs reconnaître, qu'en comparaison de celles-ci, ses paroles étaient on ne peut plus courtoises.
-Tu n'as pas le droit de lui interdire de venir me voir sale sang froid !
-Ce n'est pas à toi de me dire quels sont mes droits et je ne fais que protéger Bella, répondis-je d'un ton froid et distant comme si je ne prêtais pas réellement attention à la conversation. En réalité je craignais qu'une trop forte implication de moi-même dans cette discussion ne me fasse sortir de mes gonds.
-Je ne fais que protéger Bella, imita Jacob en donnant à ma voix les accents aigus d'une fillette de huit ans. Je notais mentalement que cette imitation lui allait à merveille tout en me sentant encore un peu plus furieux.
-Tu n'en as pas marre de toujours jouer les mecs parfaits ? continua l'autre. Ce doit être assez lassant. Toi et moi savons très bien que ce n'est qu'une excuse bidon pour me l'enlever ! En réalité tu as peur qu'elle me choisisse. Et par dessus tout tu es jaloux de tout ce que je représente c'est-à-dire la possibilité d'un avenir sain pour elle mais aussi le seul fil qui la rattachait à la vie quand tu parti ! Tiens d'ailleurs rappelle-moi pour quelle raison tu l'as quitté ? Demanda-t-il sur un ton innocent même s'il connaissait très bien la réponse.
A chaque fois que mon départ était évoqué c'était comme si on m'enfonçait profondément un poignard dans le cœur tout en me brûlant à petit feu. Sensation peu agréable. Je revivais alors cette rupture, la souffrance que j'avais éprouvé en la quittant me reprenait s'ajoutant à l'immense culpabilité qui me torturait en songeant aux conséquences que mon acte avait eu sur la vie de Bella. Un instant l'image que j'avais aperçu dans l'esprit de Jacob, celle de Bella tremblotante et effarée dans les bois, me traversa l'esprit.
-Pourquoi fallait-il toujours que Jacob remette ce sujet sur le tapis ?! Comme si je ne me torturais pas assez moi-même à ce propos ! m'irritai-je en sentant un certain malaise me prendre. Je commençais à perdre le contrôle de moi-même car, en plus de l'irritation qu'avait provoqué Jacob en évoquant ce souvenir, s'ajoutait une conscience effroyable. Celle de la véracité de ses paroles. Ou tout du moins d'une partie. Oui même si ma priorité était bien-sûr la sécurité de Bella c'était vrai j'étais rongé par la jalousie. Mais qui ne le serait pas à ma place ? Bon sang, ce type avait tout pour lui ! Une vie quasi-humaine qui s'achèverait un jour ou l'autre, la possibilité de fonder une famille. Lui ne serait pas obligé de transformer en monstre la fille qu'il aime pour pouvoir vivre avec elle jusqu'au bout ! Pourquoi fallait-il qu'il gâche tout ce potentiel en étant stupide ?
-Hé le buveur de sang ! Tu veux peut-être que je te rafraichisse la mémoire ? S'écria Jacob devant mon mutisme.
Nouveau silence.
-Je sais à quel point son sang t'attire, me contrôler est sûrement un effort dix fois moins insurmontable que de résister à son sang, argumenta Jacob, sûr de lui.
-Je préfère savoir sa sécurité entre mes mains plutôt que les tiennes...chiot, répliquai-je d'un ton acide.
Jacob tressaillit devant l'insulte mais ne releva pas.
-Ce n'est plus une gamine elle devrait être libre d'aller voir qui elle veut.
-Elle n'est pas consciente du risque qu'elle prend.
-Prétends-tu mieux connaître les loup-garous qu'elle-même ?
-Je sais ce qui est arrivé à Emily.
-Je ne suis pas Sam ! Hurla Jacob.
Sa colère était telle qu'un bref instant je ressentis ce qui ressemblait étrangement à de la frayeur. Jacob tremblait des pieds à la tête luttant contre sa transformation. La perspective d'un affrontement n'était pas pour me déplaire, j'étais déjà en train d'imaginer les diverses techniques de combat que je pourrais mettre en œuvre. Deux bons coups de pied dans les tibias ne pourraient pas lui faire du mal après tout. Il fallait bien que quelqu'un se charge de l'éducation de ce chiot stupide. Je pensai alors à Bella. J'imaginai le chagrin qu'emprunteraient ses traits si je m'avisais de blesser son meilleur ami et cette vision chassa immédiatement toutes mes envies belliqueuses. Je n'avais pas le droit de tuer Jacob. Pas après tout ce qu'il avait fait pour Bella. Et donc pour moi. Ma fureur s'apaisa. A présent je n'avais qu'une seule envie, la retrouver et la serrer contre moi. L'odeur de sa peau me revint en mémoire et je me sentis tout à fait calmé. Cependant un dernier obstacle s'opposait à nos retrouvailles et de taille. Il fallait que j'en finisse avec Jacob. Trouver un accord était la seule solution.
-Je ne souhaite pas un combat Jacob, commençai-je sur un ton apaisant. Je pense même que tu pourrais être un chic type si tu n'étais pas aussi têtu.
Les tremblements du loup-garou cessèrent immédiatement et une expression d'intense stupéfaction se peignit sur son visage. Bientôt une lueur de méfiance s'installa dans ses yeux. Je pouvais parfaitement lire dans son esprit que Jacob pensait que je lui tendais un piège.
-Tu ne me crois pas Jacob ?
-Désolé mais je n'accepte pas les compliments de la part d'un vampire puant, répliqua-t-il un sourire méprisant aux lèvres. Jacob irradiait le mépris tout entier. En scrutant son esprit je vis qu'il me prenait pour un lâche, un poltron incapable d'affronter son rival.
-Ne crois pas que je préfère éviter un combat parce que j'ai peur Jacob, précisai-je d'un air menaçant en plantant mes yeux dans ceux du loup garou, tu ne peux même pas imaginer combien de fois j'ai souhaité t'éliminer.
-Néanmoins je ne me le permettrais jamais, repris-je en m'adoucissant, pour Bella. Crois-tu vraiment qu'elle souhaite nous voir s'affronter ?
Nous nous affrontâmes du regard durant plusieurs secondes qui nous parurent à chacun durer une éternité. Jacob scrutait intensément mes yeux essayant de savoir quelle part de sincérité il pouvait accorder à mes propos. Ce qu'il trouva dû le contenter car il se détendit un peu.
-Pourquoi faut-il toujours que tu sois si sage, sale sang-froid ? Soupira-t-il en voyant s'envoler la perspective d'un combat. Même l'insulte ne sonnait plus pareil dans sa bouche, elle aurait presque pu paraître amicale.
-C'est de ma meilleure amie qu'il s'agit, dit Jacob, tu ne peux même pas imaginer à quel point elle me manque et je suis sûr que je lui manque aussi. Ce que tu fais est cruel.
Oh que si. Je pouvais parfaitement imaginer combien Bella lui manquait. Je l'avais déjà vécu et le vivais en ce moment même. Ne pas être à ses côtés, ne pas savoir ce qui lui arrivait, ce qu'elle faisait en ce moment même m'étais quasi-insupportable. Un instant je fus pris de compassion pour cet adolescent à la croissance effrayante.
-Un coup de fil ne te suffirait-il donc pas ? Tentai-je tout en sachant que cette proposition ne serait jamais acceptée.
Jacob leva les yeux au ciel.
-Serais-tu en train de plaisanter ? C'est d'une amitié dont nous parlons là ! Pas d'une stupide relation basée sur internet ou je ne sais quel autre moyen de communication !
Je soupirai, la négociation s'annonçait difficile. Jacob eut alors un sourire malicieux qu'il tenta de réprimer avec difficulté. J'étais mieux placé qui quiconque pour savoir ce qui se tramait dans son esprit et cela ne me disait rien qui vaille. Jacob avait trouvé ma faiblesse. Bella.
-Et bien qu'attends-tu pour m'exposer ta brillante théorie ? m'énervai-je bien que j'en sus déjà tout le contenu.
-Tu dis que la sécurité de Bella est la seule chose qui t'importe, commença Jacob, ce dont évidemment je doute.
Je grognai. Cet ado avait indéniablement un don pour me mettre en rogne.
-Ne t'inquiètes-tu donc pas de savoir qu'elle file en douce pour me retrouver ? Pour l'instant il ne lui est rien arrivé mais un accident de la route est si vite arrivé. Il suffirait que la précipitation la pousse un peu plus vite que d'habitude de peur que tu ne l'arrêtes en chemin pour me voir...
Je n'en revins pas de voir à quel point Jacob pouvait parler si facilement de la mort de sa meilleure amie. Le ton que celui-ci empruntait était doucereux et me faisait l'effet d'une piqure de serpent.
-Tu sais très bien, continua le loup-garou, que quoi que tu fasses elle essaiera de venir me voir. Qui sait dans quelles situations dangereuses cela pourrait l'amener ?
Ce loup-garou se montrait décidément bien agaçant. Il réussissait à merveille l'équilibre entre fureur dévastatrice et argumentation. Cependant ce qui m'énervait le plus c'était de constater à quel point Jacob avait visé juste. Je détestais en effet les escapades de Bella défiant ma surveillance et mes interdictions. Dans ces cas-là je ne contrôlais absolument rien.
-Je t'assure que je ne ferais jamais de mal à Bella physiquement alors cesse de te fier à tes préjugés sur les loup-garous, conclut Jacob d'une voix plus douce mais sans réplique.
Je sentais la confusion envahir mon esprit, mes certitudes s'ébranlèrent. Jacob n'avait-il pas raison après tout ? Pouvais-je vraiment prétendre connaître les loup-garous ou me fiais-je uniquement à mes préjugés ? Je plissai le front, perplexe. Tout serait tellement plus facile si je réussissais à admettre le fait que Jacob n'était pas une menace pour Bella. Celle-ci n'aurait plus à filer en douce pour aller le rejoindre. Je sentais que j'avais déjà trop abuser de mon pouvoir en l'empêchant d'aller voir son meilleur ami. J'en étais même venu à la faire kidnapper par Alice !
-D'accord, dis-je simplement.
Un immense sourire, que je ne lui avais jamais vu, fendit le visage de Jacob et un instant j'eus l'impression de voir l'adolescent joyeux sans le loup-garou.
-Mais j'aimerais imposer quelques conditions, ajoutai-je vivement.
-Évidemment, dit Jacob, ironique.

Je m'assurai d'abord que notre entrevue resterait secrète : officiellement j'étais parti chasser, confiant Bella aux bons soins d'Alice, ce que j'allais faire sur le champ en quittant Jacob. Je me rendis alors compte que, inconsciemment, j'avais préparé cette éventualité depuis des semaines. Les conditions venaient toutes seules sans même que j'y réfléchisse comme si je les avais répété mentalement depuis un certain temps.. D'abord j'imposai la présence d'un téléphone portable que Jacob ne devrait enlever à Bella sous aucun prétexte. Jacob, trop content d'avoir obtenu ce qu'il voulait, accepta presque tout de bonne grâce.

Tous deux savaient cependant que cette trêve n'était que de courte durée et qu'à un moment ou l'autre leurs instincts reprendraient le dessus. D'ailleurs à leur prochaine rencontre ils en viendraient sûrement à se demander comment ils avaient pu arriver à une quelconque entente et surtout comment ils avaient pu supporter aussi longtemps une telle puanteur.